partie de gaet

Remontée du rio Marauia avec les Yanomamis.

Liste des villages visités sur le rio Marauia:

1) Bicho Açu: Installation poste + antenne pour l'association Yanomami Kurikama

2) Serrinha: Installation d'un poste de radio + antenne et panneau solaire (Santé)

3) Pohoroa: Installation d'un poste de radio pour l'assicaition

4) Ixima: Installation d'un poste de radio

5) Raita: Réparation de l'antenne

6) Tomoropivei: Installation d'un nouveau poste de radio + antenne

7) Pokima Cachoeira: Installation d'un poste de radio pour l'association Kurikama

8) Kona (réparation du micro de la radio du village)

==> Découverte d'une nouvelle tribu récemment installée: Manakapuru

9) Xama Korona: Installation d'un nouveau poste de radio

10) Pokima Beira: réparation de l'ancien poste de radio et antenne.

11) Missao (ajout de fréquences au poste radio existant)

1/08/2017 Bicho Açu - Serrinha

Le matin, pendant qu'Elodie prépare la valise et sépare les affaires que j'emmène de ce qui va rester, la maison se replie d'enfants qui jouent ave les filles.

Je pars faire les derniers ajustements sur l'antenne récemment installée sur le poste radio le l'association Kurikama la veille. Mais la pluie se mêle de la partie et je n'arrive plus bien à synthoniser l'antenne. Le départ ne peut plus attendre et j'abandonne mes réglages pour plus tard. Je salue tout le monde, embrasse bien fort Elo, Morgane et Yanna qui vont rester seules dans ce village pendant 15 jours...

Peu de temps après le départ nous arrivons déjà à la première "cachoeira" (chute d'eau). Impressionnant. La rivière, large d'une cinquantaine de mètres à ce niveau est traversée dans toute sa longueur d'une marche de rochers de plus d'un mètre cinquante de haut. Le bruit de trombes d'eau est impressionnant et je me demande comment il sera possible pour le petit canoe d'aluminium de monter cette "marche".

Savio, au moteur dirige bientôt le bateau vers la berge de gauche dans un coin plus calme. Nous devons ensuite tout décharger, lourdes batteries, bidons d'essence de 40 litres, radios et plaques solaires. L'opération est exténuante. Nous transbordons tout sur les rochers bordant la rivière puis portons le tout en plusieurs voyages à travers un petit sentier au milieu de la forêt vierge qui contourne la chute pour déboucher de l'autre côté de la rivière. Une fois le canoë vidé, Savio part seul, prend son élent et lance toute la puissance du petit 15chevaux pour passer dans un étroit canal de quelques mètres entre d'énormes vagues et rochers.

Quelques minutes plus tard il nous rejoins de l'autre côté et nous recommençons l'opération de chargement. Je ne me souviens pas d'avoir fait d'éffort aussi intense de ma vie. Plusieurs allers retours de 300 mètres avec des poids de 40kgs sur l'épaule dans une chaleur étouffante marchant pieds nus dans l'eau et sur un chemin boueux semé d'embuches. Pas question de faire tomber l'essence, calculée au plus juste. Ni d'ailleurs les radios et batteries, car ce serait compromettre une bonne partie de l'expédition.

Savio m'impressionne. Sa petite stature de yanomami (il ne doit pas mesurer plus d'un metre cinquante et pèse 45 kgs...) mais il porte son propre poids avec aisance.

Nous repartons. Je suis exténué mais content d'être passé... à peine une demi-heure plus tard, j'apperçois pour mon malheur une autre cascade, plus haute encore que la précédente. Le Rio s'est resserré et il me paraît vraiment impossible de la passer en canoë.

Je commence à réaliser que nous avons bien fait de nous séparer... ça aurait été vraiment difficile et dangereux avec les filles...

Nous recommençons l'opération de déchargement et portons batteries, bidons et matériel de l'autre côté. Je me concentre le plus possible. Je dois faire tout pour éviter de glisser, de me faire mal, de renverser ou casser le matériel. Marcher dans la chute d'eau avec de l'eau jusqu'au genoux, sonder ou l'on pose chaque pied, puis sur le sentier, éviter les branches et les épines, se baisser pour passer sous la végétation... Je me demande ce que je fais. Chez les indiens, il ne semble pas y avoir de différence de valeur entre effort physique et intellectuel. Tout le monde participe selon ses capacités, et je veux en faire autant. Mais ce qui est quelque chose de courant et normal pour eux est bien différent pour moi et ils ne semblent pas intégrer ces différences de cultures.

Une fois tout le matériel de l'autre côté de la chute, nous revenons vers le canoë et nous engageons dans l'eau bouillonante avec de l'eau jusqu'à la taille. Vicente à l'avent, Savio et moi à l'arrière de chaque côté, nous poussons et tirons le canoë dans des efforts démesurés, faisant monter sur les rochers de la cascade le canoë vidé de 8 mètres, centimètre après centimètre. Si l'un de nous lâche, s'en est terminé de l'expédition et du canoë qui sera certainement retourné et coulé au milieu du rio!

Maintenant j'en suis certain, je n'ai jamais fait d'effort d'aussi éprouvant de ma vie... Mais ce n'est pas le dernier. Une demi-heure plus tard, le même ménage recommence. Je ne pense même plus, je porte, pousse, essaye de ne pas tomber, lâcher... je survie. Pendant ce temps, le ciel s'est couvert de gros nuages noirs, et la pluie se met a tomber, forte et drue.

Juste avant d'embarquer, une fois remonté à bord, Vicente, le pajè, sort une sorte de bocal en verre remplie de poudre, du Parika, en remplie abondament l'extrémité d'une sorte de fin bambou évidé de plus de 60 centimètres. Il insère l'autre extrémité dans sa narine gauche et fait un signe à Savio qui se met en face de lui, attrappe l'autre extrémité du bambou, inspire fortement et souffle de toutes ses forces. Dans un bruit de souffle puissant, un nuage de fumée se dégage tout autour de la tête de Vicente. Il recommencent dans l'autre narine. L'opération très coordonnée dure moins d'une minute. On embarque.

Vicente, que j'avais connu jusqu'alors comme le Professeur du village, vif, intelligent et respectable, devient fou. Lui -le seul capable de comprendre mes explications techniques sur les ondes radios et les antennes - commence a hurler des sons aigus puis gutturaux en sans s'arrêter, tout en gesticulant violement des deux bras comme pour chasser un animal, un fantôme ou un esprit invisible. Interloqué par la scène, je ne sais plus ni quoi faire ni comment réagir, ni ou regarder... J'observe la scène en tentant de garder mon flegme, avoir l'air le moins surpris possible pour ne pas contrarier... tout en me préparant à tout. Un liquide noirâtre sort de ses narines, vingt minutes plus tard, il semble avoir repris ses esprits, se retourne vers moi et me dit: "le ciel va s'ouvrir, maintenant". Une quinzaine de minutes plus tard, le ciel s'ouvre et la pluie s'arrête... Sur le chemin, j'observe toucans, aras, japims, martin-pêcheurs et rapaces ainsi que quelques gros oiseaux inconnus... Un grand nombre d'espèces de palmiers frutifères, Açai et Tucuman que Savio lorgne avec envie. Les Açais sont pleins! Plus tard, on s'arrêtera pour aller en cueillir, dit-il. Sur le chemin, nous croisons deux couples en train de pêcher dans leur canoë a rame. Vicente troque un régime de bananes contre un peu de Parika. Celà fait plus d'une semaine qu'ils descendent en direction de la ville et la nourriture leur manque. Nous arrivons enfin à 16h30 à notre première étape, le village de Serrinha.

Nous acostons sur la berge boueuse et escaladons le bord haut d'une dizaine de mètres, car le rio est bas - c'est la saison sèche. Arrivés dans la Xapono, les femmes seins nus et les hommes en pagne vaquent a leurs activités. Personne ne sait pas qu'on arrive, et c'est à peine si l'on se rend compte que l'on est arrivé. Nous dormons dans l'une des cases du xapono, laissée vide par l'un de ses occuppants en voyage. Nous installerons la radio le lendemain.

Le terrain de terre battue au centre de la Xapono est couvert de troncs calcinés. C'est un signe que la communauté s'est installée récement. Il n'y a donc pas encore de manioc ni beaucoup de fruit dans la Roça (plantation) et la nourriture doit être rare.

2/08/2017


Nous passons la journée a organiser l'opération: nous regroupons les hommes du villages disponibles et leur demandons d'aller couper un tronc droit d'une dizaine de mètres et deux pieux plus petits d'environ 3-4 mètres, qu'ils s'attèlent ensuite à planter, alignés sur un axe Est-Ouest pour que l'antenne soit perpendiculaire à l'axe principal de communication Nord-Sud, le long du rio Marauia. En haut du tronc central, nous avons fixé une sorte d'anneau en corde pour permettre de hisser l'antenne.

Ensuite il faut accrocher sur le toît en palmes le paneau solaire, le plus à l'horizontal possible (nous sommes pratiquement au niveau de l'équateur.

J'aimerai former Savio e Vicente sur toute l'installationvont pour qu'ils puissent être autonome après mon départ.

Nous déroulons le fil electrique, après avoir calculé la longueur de l'antenne idéale pour la fréquence la plus utilisée - autour des 5,8 Mhz -. J'ai oublié mon mètre et nous cherchons un moyen de mesurer... finalement nous trouvons un mètre de couture dans la petite paillote qui sert d'infirmerie. Je dois tout enseigner comme à des enfant, car ils ne connaissent pas le système métrique et très peu les mathématiques. Peu importe, ils comprennent vite le principe et nous coupons une ficelle témoin de la longueur exacte des demi-antennes pour faciliter les prochaines opérations. Je me découpe aussi un mètre de ficelles avec plusieurs marcation au cas où.

Une fois les deux bouts de l'antenne mesurés et coupés, il reste à les connecter au câble coaxial, puis à isoler les deux bouts avant de hisser. Je découpe un bout du tuyau en pvc trouvé par terre à Bicho Açu après l'avoir chauffé avec mon briquet. Je creuse trois trous de part et d'autre puis y glisse les morceaux de câble électrique de façon à ce que la traction ne force pas directement sur la connection mais plutôt sur le tuyau.

Je connecte les deux extrêmités de fil électrique au câble coaxial dénudé, puis j'isole le tout avec un ruban adhésif autofusion. Encore un petit morceau de plastique au bout de chaque câble et l'antenne est prête à être hissée.

Tout le village vient voir l'antenne se hisser et les premiers essais du poste, je teste rapidement le Taux d'ondes stationnaires, on abaisse l'antenne, on racourcie les deux côtés, on rehisse puis on recommence... Vicente, très excité crie dans le microphone, appelle Bicho Açu, puis deux ou trois autres villages! Il coupe la parole aux infirmiers en train de communiquer sur les ondes, continue a crier dans le micro... jusqu'à ce que quelqu'un réponde à Bicho Açu! Son visage s'illumine: mission accomplie! Mais ce n'est que le début et il nous reste un grand voyage à accomplir. Je suis moi aussi étonné que tout marche si bien avec trois bouts de ficelles... Mais fatiguée par la journée ou il a fait très chaud (certainement plus de 40degrés et une humidité qui fait transpirer sans le moindre mouvement), nous dinons rapidement et nous endormons rapidement dans nos hamacs.

3/08/2017


Levés à quatre heures du matin, nous marchons en file indienne sur le chemin boueux qui mène à la berge et embarquons rapidement. La journée va être longue, nous devons remonter un igarapé (cours d'eau étroit entre le ruisseau et la petite rivière) affluent du rio Marauia, qui conduit à une Xapone éloignée: Pohoroa.

Le canoë glisse rapidement dans la nuit et nous distingons à peine l'ombre des grands arbres sur chaque berge. Savio, assis à l'avant allume de temps en temps sa torche aux piles déjà usées pour aider Vicente à repérer les méandres du fleuve. Au bout d'une heure, Vicente dirige le canoë sur la berge gauche, à travers la pénombre et la brume qui enveloppe la forêt durant les nuits fraîches. Je me demande s'il ne s'est pas endormi, mais non... il a le regard fixe et doit savoir ou il va. J'aperçois vite un canoë en bois sous les branches de la berge. Nous nous arrêtons et accrochons le canoë a une branche, puis escaladons la rive escarpée.

Je découvre avec surprise une quinzaine d'indiens regroupés dans un campement de fortune fait de hamacs accrochés astucieusement entre des arbres et des pieux plantés, recouvets de grandes feuilles de palmiers. Les hamacs sont installés les uns aux dessus des autres comme pour gagner de la place ou du temps d'installation. De nombreux petits feux se consument en dessous des hamacs et réchauffent leurs occuppants. Certaines femmes s'activent à cuisiner dans de petites marmites accrochées au dessus des braises a une branche en Y plantée dans la terre. D'autres sont en train de manger des petits poissons grillés, accroupis autour des foyers.

Nous enjambons les hamacs et les feux pour s'installer accroupis a notre tour et faire bouillir de l'eau. A travers la pénombre je me rend compte que tous les occuppants sont vêtus d'un simple pagne pour les femmes ou d'un slip pour les hommes.

Nous mangeons quelques bananes et Savio prépare du café. Une fois que l'eau frémit dans la marmite, il prend une petite bûche dont l'un des bouts est en train de se consummer et l'enfonce dans la marmite pendant quelques secondes avant de la remettre dans le feu. Un nuage de fumée sort immédiatement et le marc du café, brulé, tombe au fond de la marmite. Je savoure se brevage qui me réchauffe de l'intérieur. Ca a sur moi l'effet d'un lien entre notre société de consommation et celle des Yanomami qui y ont ajouté une préparation simple et rustique.

Je suis bien. La boue, les feuilles et les épines, les moustiques qui commencent à sortir de leur tanière, l'inconfort et la promiscuité ne me dérangent pas. Je suis heureux de partager un moment avec ce groupe en migration. Je sais qu'il restera gravé dans ma mémoire. Je salue d'un signe de tête mes voisins et voisines qui me répondent par un sourire, sans modifier leur activité. Chaque année les familles Yanomami partent en migration plusieurs mois, à la recherche de fruits, de chasse, de pêche, vivant simplement en harmonie au milieu de la nature. Tout le monde suit, des nouveaux nés aux vieillards...plus qu'une expédition c'est une manière de vivre. Dans ce petit campement, j'ai l'impression d'être chez eux, dans leur maison. Si au premier regard, je voyais un campement de fortune, en observant les gens, leurs activité, leurs visage je me rend compte que tout est organisé, rodé. Il n'y a pas de précipitation ou d'excitation, de tension, mais il se dégage une certaine harmonie.

Chacun semble avoir sa place, savoir ce qu'il fait, la simplicité du campement doit leur permettre de changer facilement d'endroit sans que

Un peu plus tard dans la matinée, alors que le canoë est à la dérive le temps que Vicente et Savio remplissent le reservoir d'essence, le silence de la matinée est troublé par un bruit de respiration fort "CHUCH"... nous nous retournons pour voir apparaître une grande tête moustachue qui sort de l'eau. Une Ariranha, sorte de grande loutre d'amazonie. Une seconde tête apparaît quelques secondes plus tard puis traverse le rio sous nos yeux sans se soucier de notre présence.

Quelques heures plus tard nous arrivons au village de Mission; appelé sous ce nom car c'est encore le siège d'une mission catholique installée depuis longtemps dans la région. Nous n'y restons que le temps de débarquer le plus d'équipement possible pour alléger le voyage vers le village de Pohoroa semé de chutes d'eau et de troncs.

Nous débarquons bidons d'essences, batteries et radios ne laissant que ce qui sera utile à l'installation. On nous prévient que la route sera rude car l'Igarapé est bas dégageant de nombreux rochers et chutes d'eau. Il n'est pas certain qu'on puisse encore y accéder. On ne sera pas déçu.

Remontée du rio Pohoroa


Un quart d'heure à peine après notre départ, nous apercevons les premiers bouillons d'écume. Nous nous retrouvons face à une chute violente qui me paraît infranchissable, un dénivelé de plus d'un mètre cinquante d'écume bouillonante se dresse, vertical devant nous. Une fois de plus je fais confiance à l'experience de mes camarades qui avancent doucement en longeant la berge pour scruter un possible passage. Une fois la décision prise, nous nous jettons tous les trois dans l'eau, Vicente le pajé à l'avant, déployant une force rare pour tirer la proue vers les bouillons, Savio et moi à l'arrière, tirant et poussant le canoë à la limite de nos forces, dans l'eau jusqu'au nombril et pied nus sur les rochers glissants. Bientôt rien ne bouge plus, nos efforts sont vains, le canoë est coincé entre deux rochers. Savio nous fait signe de maintenir la position et part rejoindre la berge avec sa machette. Un quart d'heure plus tard, il revient avec un rondin qu'il porte sur l'épaule jusqu'au canoë. Dans un effort exténuant nous nous efforçons de le faire glisser sous la coque jusqu'à ce qu'elle se libère enfin.

L'opération dure plus d'une demi heure pour vingt mètres à passer. Si l'un de nous tombe ou glisse, tout est foutu, mais une espèce d'harmonie de communication et de volonté nous joins dans l'effort. Nous passons bientôt la chûte, Savio démarre rapidement le moteur et nous montons soulagés. Normalement le plus dûr est derrière nous. La radio a été trempées et je m'affaire à la démonter pour l'essuyer et profiter du soleil brûlant pour faire sécher l'électronique.

Rapidement nous passons une seconde "cachoeira", mais rien de tel que la précédente. Nous sommes rodés maintenant et nos mouvements sont précis et syncronisés. Bientôt le cours d'eau se rétrécit pour ne plus faire que quelques mètres de large et s'encombre de plus en plus d'arbres tombés en travers que Savio évite adroitement. Vers midi le ciel se couvre et le tonerre gronde de plus en plus fort. Les craquements déchirent la forêt et j'ai l'impression d'être minuscule au milieu de cette forêt sauvage. Les images de forêt défilant sans arrêt par le hublot du petit avion à hélice qui nous amenait à Sao Gabriel da Cachoeira me reviennent dans la tête. Je pense à Elo, Morgane et Yanna restée au premier village. Je me sent tout à coup minuscule et impuissant face aux éléments. Impossible de reculer, les chutes doivent être énormes avec les torrents d'eau qui tombent maintenant du ciel. Pourvu que rien n'arrive... Vicente doit penser la même chose que moi puisqu'il commence à hurler et gesticuler violement contre les éclairs et les dieux du ciel. C'est loin de me rassurer. Je me demande s'ils sont conscient du danger de la foudre au milieu des cours d'eau, mais Savio m'indique qu'il faut rapidement trouver un abri près de la berge, mais surtout loin des grands arbres qui risquent de s'effondrer au milieu du cours d'eau. Nous continuons, moteur a fond, pendant un quart d'heure, sursautant à chaque fois que la foudre tombe, jusqu'à ce que nous trouvions au détour d'un méandre un groupe d'arbustes perchés sur la berge sous lequel nous glissons le canoë et accrochons la proue.

Trempés jusqu'aux os et frigorifiés, nous nous glissons sous la bâche qui protège tant bien que mal le matériel. Collés les uns aux autres et isolés dans notre petite cabane nous attendons que la tempête passe, tête baissée.

Une heure plus tard, la pluie ne s'arrête toujours pas de tomber, mais les coups de tonnerre se font maintenant plus rares, plus lointains, le froid et la fain nous décident à reprendre la route. Pendant encore quatre heures nous voyageons sous la pluie, le regard fixe à l'avant du canoë pour indiquer les dangers à Savio qui dirige à l'arrière. Nous arrivons enfin, frigorifiés mais éblouis par la beauté du lieu. Seul Vicente y était déjà allé. Des femmes et des enfants a moitié nus prennent leur bain sur une large pierre, un jeune homme revient de la pêche avec un arc. Derrière cette grande pierre plate une chaîne de montagne s'offre à nos yeux. Fatigué, je suis encore surpris du manque d'accueil des Yanomamis qui nous observent tout en continuant leurs occuppations. Je me rend compte plus tard que l'accueil viendra plus tard, une fois que nous aurons rendu visite aux Tuxaua et aux Pajés. Les Yanomami sont autonomes et sont capables de se nourrir seuls dès l'âge de six à huit ans. Ils sont habitués aux efforts physiques et à vivre en communion avec la nature, qu'elle soit humide, froide, boueuse, horriblement chaude... Nous autres européens, sommes capables de l'affronter pendant un moment mais toujours dans l'espoir de retrouver un confort ou un accueil après. Les Yanomamis ne s'habituent pas au confort mais s'habituent à la nature sous toutes ces facettes. Ils n'attendent aucun support ni aucune aide de la société ou de leurs semblables. Lorsqu'ils ont besoin de quelque chose ou de l'aide de quelqu'un ils le lui demandent tout simplement, sans aucune forme apparente de politesse. Et généralement la demande est acceptée tout aussi simplement.

Lorsque nous avons fini de décharger les équipement nous demandons aux jeunes gens rencontré sur la berge de nous aider a porter jusqu'au poste de santé du village puis Savio et Vicente s'affairent a hisser le canoë haut sur la berge pour éviter qu'il se fasse emporter par le courant. Nous sommes proche de la source et au pied d'une chaine de montagne, chaque pluie fait changer le niveau de plusieurs mètres, et le soleil ardent de l'après midi le fait baisser tout autant.

Nous escaladons la berge et suivons le petit sentier qui va jusqu'au Xapone en traversant un terrain de football entourés de grands arbres fruitiers. La vue est magnifique sur la chaîne de montagne envelopée d'un manteau vert et entourée de nuages. Finalement nous arrivons au Xapone, ce grand cercle de hûtes ouvert sur le terre-plein central, le "Mlamö", ou le pajè est déjà en pleine activité. Simplement vêtu d'un pâgne et habillé de jolies parures de plumes d'Ara, il déambule sous le soleil au zénith en chantant d'une voix forte et gutturale ses incantation chamaniques.

Peu après avoir avalé un grand bol d'açai ainsi que quelques bananes pacovain, je pars faire le tour du Xapone avec mes deux compères qui ne manquent pas de s'arrêter humer un grand tube de Parika avec les pajès. Un jeune homme est en train de construire le toît de son habitation, tendant à espaces régulier de longues lianes "cipo tiririca" enroulées autour de l'ossature de la toiture faite de pieux accrochés entre eux avec les même lianes. Il s'affaire ensuite à glisser entre ces lianes des grandes feuilles déposées en tas. Des femmes sont assises en train de tresser de jolis paniers avec ces mêmes sortes de fines lianes qu'elles séparent entre leur dents dans le sens de la longueur.

Nous sommes fatigués et heureus d'être arrivés dans ce petit coin de paradis. Nous nous accordons pour laisser le travail pour le lendemain.

4/08/2017


Une belle journée commence que nous commençons par un "café tison" suivi par un bon bain dans la rivière. Avant de se mettre à travailler nous faisons un traditionel tour du Xapone et saluons un à un les occupants du village. Vicente s'arrête au milieu pour partager un Parika sévère. La quantité de poudre qu'il se fait souffler dans les narines est impressionante et je m'inquiète un peu de savoir quand va commencer l'installation. Finalement Savio et Vicente demandent au Tuxaua d'envoyer des villageois couper trois pieux pour préparer l'installation de l'antenne en V inversé. Pendant ce temps nous installons le paneau solaire. Je vais à la mission pour voir si j'arrive a brancher mon fer a au générateur et souder le câble à la prise. Rien n'y fait car le générateur n'est pas assez puissant. Par dépit, j'essaye avec mon briquet, en chauffant le câble et le connecteur a blanc avant d'y déposer le fil d'étain. Finalement, ça marche très bien et j'utiliserai cette technique simple et rapide pour toutes les autres installations. Il doit être dix heures du matin et la température est montée. Je retrouve Savio et Vicente en train de déguster une autre pipe de Parika en attendant l'arrivée des pieux. Après délibération le poste sera installé dans la maison d'un "Pata Pata" (l'un des anciens du village). La moitié de sa case sera transformée en poste radio. Une petite table est construite avec de petits rondins accrochés entre eux par des lianes. Grâce aux mesures prises à Serrinha, l'opération est beaucoup plus rapide, et l'antenne est immédiatement coupée à la taille idéale optimisée pour donner un ROS (rapport d'ondes stationnaires) minimal à la fréquence principale utilisée par les indiens.

Il n'est pas encore midi et nous réussissons à parler clairement à plusieurs communautées éloignées de plusieurs centaines de kilomètres. Le signal est clair et limpide et c'est encore une fois l'excitation et la fierté des premiers contacts pour nous tous! Après les discussions et essais entre différents villages, j'arrive à appeler Bicho Açu et echanger quelques mots avec Elo, très heureuse de m'entendre. L'un des deux infirmiers qui étaient à l'écoutent sont parti la chercher à la Xapone. Tout va bien, mais elle me fait part de ses difficultés a manger régulièrement et de l'état de santé des filles. Personne n'a la Malaria mais Morgane a une forte diarhée et est suivie à l'infirmerie.

Je lui transmet quelques informations sur la culture Yanomami que j'ai collectée après avoir discuté avec un prêtre missionaire Salésien qui vit dans la mission depuis plus de dix ans.

Contrairement aux "blancs", les Yanomamis ne proposent pas spontanément leur aide. La politesse fonctionne, d'une certaine manière, à l'inverse de la notre: chez eux il n'est pas impoli de demander a quelqu'un son aide ou bien quelque chose que l'on souhaite qu'il nous donne, sans aucune forme de politesse. Lorsqu'il ne s'agit pas d'un échange, la personne qui demande se met en position d'infériorité en acceptant qu'une autre personne subvienne à ses besoins. L'autre sera généralement fier d'être capable de donner ou d'aider. Par contre personne ne proposera spontanément son aide de peur d'offenser la fierté de son camarade.

Ce que je raconte en quelques phrases est très certainement l'une des plus grande différences culturelle que je n'ai jamais vécue. Notre culture de la politesse nous interdit d'exprimer un besoin directement, d'une voie forte et sans une forme de courtoisie, ou de détour pour "enjoliver" une requête. Et d'un autre côté, nous nous attendons à recevoir un mimimum d'accueil, de sollicitation, alors que nous arrivons dans un endroit que nous ne connaîssons pas. Lorsque ce n'est pas le cas, nous sommes prompt à juger.

Finalement je m'habitue petit à petit car Vicente et Savio qui ne connaissent pas non plus ma culture commencent à me fatiguer avec leur requêtes directes: pousse le canoë, va chercher de l'eau, porte ce bidon... même s'il participent à peu près également aux tâches, la fatigue, la chaleur, l'humidité permanente n'aident pas et je supporte de moins en moins ces demandes, énoncées d'une voie forte qui pour moi correspond à un signe d'autorité.

Depuis aujourd'hui je m'essaye: Savio, va préparer le café!! Vicente, va chercher les cables électrique!!...

Ca marche comme par mirâcle!! Même si je met un certtain temps à me sentir à l'aise et accepter ce nouvel ordre des choses. C'était indispensable, car je commençait à avoir des arrières pensées sur mes deux accolytes. Cette rencontre avec le missionnaire m'a donné les clés qui m'ont permis de comprendre et de me glisser dans leur culture durant le reste de mon voyage. Les doutes qui persistaient sur la qualité de relation avec mes collègue n'étaient finalement dûs qu'à une incompréhension culturelle et sur la forme de l'expression plus que le fond...ouf!

Finalement je trouvais que leur système n'était pas si mal. En étant clair et direct sur nos intentions, on a parfois moins de mal a communiquer "entièrement". Combien de fois l'on se rend compte que quelqu'un répond à une demande par "politesse" ou pour ne pas froisser mais n'en pense pas moins.

Si l'on a un besoin, on l'exprime clairement. L'autre y accède ou refuse, tout aussi clairement. Sans aucune arrière pensée négative. Tout est dans l'équilibre des demandes, bien sûr. Et dans un monde sans argent, l'équilibre dans la collaboration est à la base de la société.

L'autre information intéressante que le padre me confirmait, était l'absence d'horaire ou d'habitude dans la prise des repas. Les Yanomamis mangent quand ils ont faim et qu'il y à quelque chose à manger. Pas d'horaire spécifique ni de menu spécifique. Pour tenir et oublier la faim ils passent leur temps à chiquer le "Pé-é", sorte de feuille de tabac roulée dans de la cendre, qu'ils placent sous la lèvre inférieure. Je transmet ces informations par radio à Elodie pour qu'elle comprenne mieux les comportements du village.

L'opération qui avait durée quasiment toute la journée à Serrinha s'est terminée avant le déjeuner et le

OPERATION DE MONTAGE

5/08/2017


Le lendemain matin, après une dernière tournée du Xapone pour dire adieu, nous préparons un café-braise et prenons un petit déjeuner de foie de Paca (sorte de gros rongeur à la chair savoureuse), préparé par Vicente. Nous trempons ces gros morceaux de foie dans de la farine de manioc, pour nous donner des forces pour la descente.

Rapidement, nous embarquons dans le canoë en aluminium et commençons notre descente en faisant des grands signes aux indiens venus prendre leur bain sur la grande pierre qui borde la rivière.

Aujourd'hui la route sera longue, puisque nous devons redescendre le rio Pohoroa jusqu'à Missão puis continuer sur le rio Marauia jusqu'à un autre village appelé Ixima, ou devra être installée la troisième radio.

Dans le sens du courant, la descente est bien plus rapide mais non moins difficile, Vicente est assis sur la proue et manoeuvre le canoë avec l'unique pagaie, d'une main de maître. Chaque fois il évite les troncs et les rochers de justesse, grâce à une série de coups puissants d'un côté ou de l'autre. Savio, assis à l'arrière, dirige le petit hors-bord avec agilité. Il le soulève rapidement pour éviter les rochers quand moi ou vicente lui hurlons quelque chose. Deux heures et demi de descente de rapides avec l'attention extrême de pilotes expérimentés. Je m'émerveille comme toujours des énormes papillons bleus qui traversent la rivière de leur vol magique.

Nous descendons sous un toît de verdure tant la rivière est étroite. A chaque passage près d'une rive, des dizaines de chauve-souris accrochées à des troncs morts s'envolent, réveillées par notre canoë.

De temps à autre, nous devons nous allonger d'urgence pour passer sous un tronc tombé en travers, ou bien sortir pour pousser le canoë quand il n'y a pas assez d'eau. Lorsque j'écris ces lignes je surveille constamment la proue pour prévoir les dangers et arriver à me baisser le plus tôt possible.

Notre séjour à Pohorora aura été finalement bien agréable et laissera le souvenir agréable d'un petit village encaissé, vivant en harmonie près d'une jolie rivière et d'un superbe paysage de montagne. Des nuits délicieuses et sans aucun moustique ni aucun cas de malaria d'ailleurs.

6/8/2017 Ixima


Après un bref arrêt à Mission et la récupération des plaques solaires et batteries restantes, nous poursuivons notre route vers le village d'Ixima. Sur le chemin, Savio repère quelques palmiers Açai au dessus de la forêt qui couvre la berge. Nous nous arrêtons et il saute du canoë, se fraye un chemin dans la jungle avec sa machette et on le voit bientôt réapparaître une quinzaine de mètres au dessus de nous en train de se hisser sur le tronc du palmier, tenant sa machette coinçée entre sa joue et son épaule droite. Arrivé en haut, il coupe une grosses grappes de fruits d'une dizaine de quilos et redescend rapidement de son perchoir. Il recommence l'opération deux fois et nous chargeons les fruits à l'avant du canoë. C'est la saison des Açai et les Yanomamis en rafolent. C'est une sorte de cerise avec un gros noyau qui doivent être malaxés dans un gros pot à l'aide d'un pilon et dilué dans un peu d'eau. Le jus qui en sort est plein de vitamine et très calorique. Il est souvent bu tel quel ou mélangé avec de la farine de manioc.

Celà devient quasiment la base de leur alimentation pendant les quelques mois que dure la période de frutification des palmiers. Ces palmiers aux troncs fins peuvent atteindre une vingtaine de mètres et je suis impressionné par l'agilité avec laquelle les indiens y grimpent dès leur plus jeune âge, un grand couteau coinçé près du cou.

Cette fois, nous sommes mieux accueilli à l'arrivée au village d'Ixima, Xapone de taille moyenne ou un groupe de sept Pajès sont rassemblés. Le Tuxaua envoie des femmes préparer un jus à partir de nos trois grappes et Vicente se joint aux pajès, dans la Yahi (Maison, hute de la Xapone) centrale. L'un d'eux est en pleine transe au milieu du Mulamö (terre-plein central de la Xapone). Celà ressemble un peu à une chanson au refrein répétitif, une sorte d'incantation envoutante que l'on aurait envie de répéter à tue-tête jusqu'à perdre toute notion du temps et de l'espace, et rejoindre sa transe.

Simplement vêtu d'une parure de plumes, il danse sans ne jamais s'arrêter, comme une sorte d'automate dirigé par un être supérieur.

Sa démarche, et ses muscles saillants me donnent l'impression d'une dure évolution dans un monde parallèle. Son corps est luisant de sueur, et un liquide verdâtre s'écoule de ses narines.

Les autres pajès, assis sur de tout petits tabourets, à l'ombre de la Yahi, observent leur confrère et discutent tout en préparant leur pipe de parika. De temps à autre il s'approche de nous et passe entre les petits tabourets en hurlant avec des gestes brusques et qui paraissent incontrôlés.

Dès notre arrivée, les autres pajès se sont mis à préparer leur "prise" de parika, poudre provenant d'une sorte de graines de haricot sêchées puis torréfiées. L'opération est conviviale, puisqu'il faut l'aide d'un partenaire pour souffler la poudre, à pleins poumons dans la narine de son voisin.

Je ne sais plus vraiment où je suis, mes sens sont altérés par la chaleur et la fatigue du voyage. je me sens à la fois fatigué et perdu dans ce monde ou mes réflexes de pensée rationelle ne sont plus adaptés... Ces pensées me remontent comme des bouffées de chaleur: Qu'est ce qui va bien se passer si la moitié du village et sous l'emprise de ce psychotrope? mes deux accolytes sont déjà en train de préparer leurs dose et il est à peine midi... Quand va t'on bien pouvoir commencer notre installation? Pourquoi sommes nous vraiment ici?...

Petit à petit, mes pensées deviennent de moins en moins précises et l'effet de la chaleur, de l'odeur de la vapeur de Parika qui me pique les narines, ainsi qu'un mélange de faim, de soif et d'inconfort, me font lâcher prise. L'un des pajès me propose à ce moment de participer à leur rituel. J'insère le bout du tube dans ma narine et il souffle une bouffée dans chaque narine. J'éternue immédiatement et j'ai l'impression de voir mes narines brûler, puis mes tempes battre... j'attends hébété en regardant la scène qui se déroule à mes côté, sans réellement discerner ce qui se passe, je suis dans le moment présent, dans la scène.

Deux autres pajès se sont levés et ont rejoint la transe qui tient parfois du théatre. Ils alternent entre des danses au milieu de la Xapone puis au milieu des autres Pajès qui se mettent à rire devant leur déambulation qui tient du comique. On dirait qu'il essaye de surprendre les endormis en s'arrêtant juste derrière eux et en poussant des interjections brusques et des cris gutturaux.

Je me rend compte du rôle mystérieux des pajès. A la frontière entre le spectacle, la prière, la musique, la médecine et l'histoire ils sont garants de la transmission de l'histoire et de la mythologie de leur peuple, et participent à l'animation des longues et chaudes après-midi de l'amazonie profonde.

L'après midi arrive vite et je me rend compte qu'il n'est pas question de travailler cet après midi. Impossible d'entrer en communication avec Vicente et Savio qui en sont maintenant à leur troisième prise de Parika sans n'avoir rien avalé depuis ce matin. Ils sont entrés dans un espace temps différent et je ne peux rien y faire. Je suis vite redescendu de ma première prise de parika que je n'ai pas réellement appréciée, un peu comme si c'était la première fois que j'avalais la fumée d'une cigarette. Il reste uniquement le goût amer, ou plûtot une sorte de fort picotement dans les narines qui me dégoûte et me donne envie de prendre l'air. Résigné par cette latence qui commence à me peser, je me lève et décide d'aller faire un tour de la Xapone. Je salue les habitants et observe des femmes en train de tresser de très jolis paniers en Cipo ou de préparer un mingau de banane (sorte de purée de banane fermentées), en roulant entre les paumes de leurs mains une sorte de petite branche fourchue. Un peu plus tard je croise un groupe de jeunes enfants, mon coeur se serre et je pense fort à Elodie, Morgane et Yanna, j'espère qu'ils passent de bons moments et que tout se passe bien à Bicho Açu. L'un d'eux me tend une sorte de tout petit bâton qu'il tenait près de son oreille, il le place près de la mienne et j'écoute une sorte de grésillement ou de crissement fort et répétitif.

Le phénomène à l'effet de me transporter immédiatement dans les vieux quartiers "Hutong" de Shanghai, où près de dix ans plus tôt, je négociais de minuscules criquets. Installés dans une petite boîte de bois sculptée, Je la glissait dans la poche de ma chemise comme les vieux chinois. Le chant du criquet, que je nourissait régulièrement, aidait mon esprit à s'évader du monde ambiant.

Les enfants, tout excités, avaient trouvé moyen d'emprisoner un minuscule insecte dans un petit bâton creux. Chacun avait le sien et ils me montraient tous leur "Walkman" avec fierté.

Voyant ma curiosité, ils me demandent de me suivre dans un petit sentier derrière la Xapone qui s'enfonce rapidement dans un sous-bois pour arriver rapidement dans un petit Igarapé. La berge est couverte de roseaux. Le plus vieux de la bande m'explique que c'est là qu'ils vont couper leurs flêches. Nous marchons encore un peu le long de la berge jusqu'à ce qu'ils me montrent une sorte d'arbuste dont les branches creuses sont recouvertes de minuscules fourmis. Les branches les plus basses ont déjà été coupées par les enfants et une petite fille me demandent si je peux l'aider à en couper une. Je prend à pleine main une branche près du tronc et m'aprête à la couper à l'aide de ma machette quand soudain je crie de douleur et de surprise: trois minuscules fourmis qui ne doivent pas dépasser un à deux milimètres me piquent fortement la main. Les enfants se mettent tous à rire. Je me reprends et termine rapidement ma tâche avant de secouer violement mes manches. Le fou-rire général passé, l'un des enfants récupère la branche, la retourne et l'observe de près jusqu'à ce qu'il trouve un minuscule petit trou qu'il pointe du doigt en criant. Un autre compère s'empresse d'enfiler une épine pour boucher le trou. Il approche son oreille pour vérifier et se retourne avec un grand sourire: elle est dedans!...

7/08: Tomoropivei

Nous dormirons en tout trois nuits dans la Xapone de Chiquinho, Tuxaua de TomoroPivei. Très accueillante et familiale, nous nous sentons immédiatement chez nous. Arrivés fatigués en fin d'après midi, je ne refuse pas une légère prise de Parika qui me met laisse dans un état de faiblaisse intense. J'en profite pour m'assoupir dans mon hamac et profiter d'une sieste bien méritée.

Réveillé par des cris aux alentours de dix-sept heures, on m'informe que c'est l'heure ou les pajès laissent le Muamö libre pour les jeunes qui s'empressent d'organiser une partie de foot ou se mèlent enfants et ados, filles et garçons. C'est un moment où l'égalité des sexes et des ages reprend ses droits. Je participe au match pieds nus et en short sous la moiteur de la fin d'après midi. La partie est endiablée et je jure en portugais par habitude et bientôt les jeunes (qui ne parlent que Yanomami) reprennent le juron et bientôt m'appellent avec ce surnom!

Après moins d'une heure de jeu, je suis en nage et je ressens une forte douleur à l'avant du pied droit, une bonne partie de la peau est partie et j'ai la chair à vif. La corne s'est déchirée sous l'effet de la chaleur et de l'humidité. Je quitte la partie et m'en vais me laver au bord de la rivière puis panser mon pied pour ne pas qu'il s'infecte. Je sais que je dois faire très attention à chaque petite blessure car l'infection arrive très vite.

Le soir tombe vite et j'assiste avec intérêt à la pratique du Kawa Amo, un rituel quotidien où le Tuxaua fait un discours debout au centre du terre plein central de la Xapone, tel un orateur grec.

Savio, allongé dans le hamac mitoyen m'explique qu'il raconte les principaux évènements de la journée, et propose ses directives pour le lendemain. Chiquinho annonce l'opération de l'installation de l'antenne prévue pour le lendemain, puis des jeunes hommes sont envoyés chasser, et d'autres cueillir de l'Açai pour pouvoir fournir un bon repas aux hotes. Les femmes vont devoir préparer de la farine de manioc et des cueillir des fruits. Il n'est même pas sept heures du soir et la nuit tropicale est déjà sur la forêt. Certains répondent aux paroles du Tuxaua, pour les approuver ou y apporter des précisions. Tous entendent car les voix raisonnent autour du cercle des habitations de la Xapone.

Cette pratique ancestrale des Yanomamis me frappe par sa ressemblance avec une pratique efficace utilisée dans les méthodologies récentes de gestion de projets Agile: appelée "stand-up meeting", une courte réunion effectuée debout, où tous les membres d'une équipe se sincronise sur les évènements effectués la veille et ceux à venir dans la journée.

Nous partons tôt le matin installer la radio de Pokima Cachoeira, village situé à une heure de canoë de Tomoropiwei et nous promettons de revenir dormir à TomoroPiwei avant la prochaine partie de foot.

PokimaCachoeira est une Xapone à moitié vide dont le cercle ne s'est pas encore refermé. Celà donne une impression d'un récent abandon. Vicente m'explique que c'est une pratique courante chez les Yanomamis, plusieurs familles ont quitté la Xapone pour venir s'installer plus loin. Lorsqu'un village grossit, il devient de plus en plus difficile à vivre en équilibre, des tensions sociales apparaissent que le Tuxaua n'arrive pas toujours à faire disparaître. Un nouveau chef prend la tête de ces familles qui s'en vont dans la forêt à la recherche d'un nouveau terrain pour construire une nouvelle Xapone.

Sous la chaleur écrasante du midi amazonien, nous partageons le repas du vieux Tuxaua et de sa famille. Vicente et Savio échangent les nouvelles et l'un des hommes montre une jeune femme assise avec un nouveau né dans les bras. Ils discutent et bientôt je crois entendre mon prénom dans la conversation, plusieurs fois. Savio se retourne vers moi et me demande si le bébé peut s'appeler Gaëtan? Le nom devait paraître original et je m'amuse de la rapidité et de la simplicité de la décision sur un acte si important pour nous. Le père me demande alors de l'écrire sur un botu de papier qu'il garde précieusement dans un porte document pour l'amener lorsqu'il ira enregistrer son fils à la ville. Je reste un bon moment ému et un peu abassourdi par la chaleur étouffante et la nouvelle de mon petit Gaëtan Yanomami.

Après un calumet de rapé en guise de café que je refuse, nous installons l'antenne et le panneau solaire rapidemnt mais sans beaucop d'aide de la communauté qui en avait déjà une autre au poste de santé. Nous n'avions pas cette information et vu l'état de semi abandon de la Xapone je discute un peu de l'utilité de notre installation avec Vicente qui doute un peu lui aussi mais préfère respecter le plan définit. Je me résigne, nous travaillons vite et bien et après quelques heures nous pouvons déjà effectuer les tests de communications avec les autres villages. Le premier test fonctionne vers les villages les plus proches mais la communication est très difficile avec Bicho Açu. C'est la première fois que celà arrive mais je sais que nous avons coupé "grossièrement" l'antenne et elle doit certainement raisonner à une autre fréquence. La radio possède une fonction "puissance émise" et je fait varier la fréquence d'émission en testant la transmission jusqu'à ce que j'obtienne le maximum de puissance. Je note la fréquence obtenue et me plonge dans les calcul pour savoir de combien de centimètres je dois réduire l'antenne pour qu'elle raisonne à la bonne fréquence.

Je mesure puis coupe le fil électrique de quelques dizaines de centimètres de chaque côté et retourne au poste pour recommencer les tests. Le retour d'ondes stationnaires est minimal et la puissance émise est maintenant maximale, j'espère vraiment que ça va avoir un effet réel sur la qualité de la communication car c'est la seule chose qui compte et c'est ma crédibilité qui est en jeu.

Vicente appelle de nouveau Bicho Açu, patiente, doutant que couper quelques bouts de fils puisse changer quoi que ce soit...

Comme par miracle, le signal devient clair et la communication est enfin limpide!!. Tout le monde est surpris - moi y compris, même si je fais semblant de ne pas être étonné... Les rares moments ou l'on a l'occasion de prouver une théorie apprise par une expérimentation concrête et bien réelle fournissent une émotion très forte. Ca a beau être scientifique, et basé sur des équations mathématiques le fait de savoir que la voix sort de ces fils de cuivre et est transportée par des ondes à travers l'atmosphère et à plusieurs centaines de quilomètres a quelque chose de mystique. Je me sent un peu comme un pajè de l'occident qui détient un savoir ancien transmit oralement par les anciens du club de radio amateurs de Roubaix auxquel j'ai passé mes soirées d'hiver.

La bonne humeur est là et la fréquence, théoriquement réservée à la Santé, sert à prendre des nouvelles des uns et des autres. J'en profite moi aussi pour appeler Elodie qui me rassure sur la santé de la famille. Ils ont tous fait un test de malaria et personne n'est positif. Morgane a une forte diarhée et a été réhydratée par perfusion au poste de santé pour la réhydratée. La communication n'est pas très facile car nous ne sommes pas habitués à discuter par ce moyen et encore moins entouré d'un groupe de chaque côté. Même s'ils ne comprennent pas le français, nous nous en tenons aux nouvelles factuelles.

Nous retournons rapidement à TomoroPiwei ou nous passons une soirée agréable. Les chasseurs onr rapporté du gibier: un Tatu et un grand singe, qui sont en train d'être préparés dans une grande marmite en terre cuite posée sur trois bûches. J'apprécie le goùt délicieu de la chair blanche du tatou mais moins celle du singe bouilli, très difficile à mâcher. Nous buvons encore un délicieux jus d'açai préparé par les femmes durant notre absence, agrémenté d'une farine de tapioca fraîchement torréifiée. Le Tatou a été chassé par le Pajè, un homme d'une cinquantaine d'années, très sympathique, comme le reste du village. Grâce à la traduction de Savio, il m'explique comment les Yanomamis chassent le Tatou.

Lorsqu'il s'enfonce dans la forêt, le chasseur repère les traces caractéristiques laissées par les quatres pattes et la queue du tatou qui traîne sur le sol. il les suit alors attentivement jusqu'à arriver à l'entrée de son terrier. Il prépare ensuite un feu dans lequel il ajoute des feuilles jusqu'à faire une forte fumée, puis il fait tomber les feuilles dans le trou, qu'il enterre en ne laissant qu'un petit orifice pour pouvoir souffle. Le chasseur s'agenouille près du trou et se met à souffler, souffler, souffler jusqu'à ce que la fumée s'enfonce tout au fond du terrier et pousse le Tatou à remonter à la surface. Lorsqu'il entend un fort grognement, il sait que la pauvre bête commence à suffoquer. Le chasseur attend alors quelques minutes puis creuse et libère l'entrée du trou pour récupèrer la bête morte.

Nous passons encore une agréable nuit, et c'est la première fois que je me sent si bien. Une petite communauté, si chaleureuse et l'impression de faire partie de la famille. Je discute ou plutôt communique avec des jeunes qui me parlent de leur chasse et me posent des questions.

Le lendemain matin nous nous attaquons à l'antenne. C'est l'une des plus difficile à réaliser car il nous reste juste assez de câble coaxial pour les trois villages les plus éloignés et difficiles d'accès. Nous avons décidé en commun de tenter de réaliser un câble de transmission simplement avec deux fils electriques écartés d'une dizaine de centimètres, une échelle de grenouille, comme l'appellent les anciens radio amateurs.

Une ligne de transmission consite en deux câbles électriques isolés l'un de l'autre. Généralement connun sous le nom de "coaxial", c'est un câble comme celui des antennes de télévision, avec un fil central, l'âme, isolé puis entouré d'une maille qui est le second conducteur. Sans ce câble, impossible de transmettre l'électricité au point d'alimentation de l'antenne, situé à une dizaien de mètre au dessus de la terre. Mais avant que le coax ne soit bon marché commercialisé , je me souviens que les anciens radio amateurs me racontaient leurs prouesses grâce à leurs montages d'antennes lévy à echelle de grenouille.

Sans plus qu'un vague souvenir en tête, je tente de garder pour moi les doutes qui m'assaillent. Mais je rentre dans le jeux de Vicente et Savio et fonce droit devant. Je dirige l'opération dans un sentiment bizzare et absurde de confiance mystique. Je faisait comme si j'étais certain que ça allait marcher alors que je ne me basait que sur une histoire orale racontée par un ancien. Mémoire vague, sans détails.

Je mesure un petit morceau de liane "titica" d'une douzaine de centimètres et demande à mes accolytes de m'aider à en découper une cinquantaine, de dimensions exactement similaire. Puis je coupe précisément deux morceaux de câble electrique, ajoutant 10 mètres à la dimension de l'antenne. Dix mètres où les deux câbles devront être maintenus à exactement 10 centimètre l'un de l'autre, par ces petits bouts de liane rigides fermement accrochésentre les deux câbles. Après une heure de travail minutieux, assis sur le sol de terre du Mulanmo, nous nous préparons à hisser l'échelle sur le mât installé par les fils de chiquinho.

Je soude le connecteur aux extrêmités des deux câbles electriques à l'aide de mon briquêt. Nous accrochons les autres extrêmités à un morceau de plastique isolant puis les tendons à l'aide de deux ficelles accrochées à deux pieux pour former une sorte de V inversé géant.

Puis nous courrons brancher le poste. toujours avec la même excitation de la première découverte, de la première communication! Nous avons l'impression de brancher le téléphone pour la première fois et c'est une démonstration autrement plus impressionnante que celle de ces dix dernières années. Quoi de mieux que de permettre aux gens de se parler! Savio, Vicente et moi, nous adorons ce moment. Pour moi, cette fois plus que de coûtume, c'est l'incertitude. Ces boûts de câble electrique pour chantier, mis ensemble à la bonne longueur, et séparés de quelques centimètres vont ils entrer en raisonnance et transporter l'onde qui permettre à ce village perdu au milieu de la forêt de parler avec ses cousins et des infirmiers à quelques centaines de quilomètres de là? La encore, je doute ... jusqu'à ce que Vicente prenne le micro et lance de sa voix tonitruante: "bicho Açu, bicho Açu... tomorpivei........" "Bicho Açu, bicho Açu..... tomoropiwei..." puis, le silence...... rien, que des gouttes de sueur qui perlent sur mon front et mes tempes... "Bicho Açu, bicho Açu, tomoropiwei............"

TomoroPiwei?? Tomoropiwei??, Vicente??

Un sourire illumine le visage des cinq présents dans la cahute ou la radio vient d'être installée, d'autres arrivent et une conversation s'engage dans un langage que je ne connais pas. Mais ce n'est pas le principal. Je suis heureux et soulagé encore une fois... et je commence à comprendre ce qui fait l'assurance de ce peuple. Les histoires racontées par les anciens et expérimentées le moment venu par les plus jeunes. S'ils ont pris la peine de les raconter et que l'histoire est passée à la génération suivante, c'est que ça a marché. La parole des anciens a une valeur, et l'on a pas toujours besoin de recette précise pour travailler, ni de toujours tout vérifier avant d'expérimenter. Dans ce monde digital ou je baigne depuis vingt ans nous sommes submergés d'information et nous n'osons plus faire confiance aux anciens, à une parole sans avoir le besoin compulsif d'aller vérifier comme si la vérité était dans le réseau et non dans la parole.

Le lendamain matin, aux premières lueurs du jours, nous devons reprendre notre route. Encore gâtés par un petit déjeuner copieux offert par chiquinho: un grand bol d'Açai et de farine de tapioca, ainsi qu'un morceau de singe bouilli. Nous rangeons rapidement notre matériel, et descendons vers le canoë pour poursuivre notre périple le ventre plein et le coeur léger.

==> a Ajouter plus loin:

Quelques jours plus tard, je gouterai la viande de Tamanoir, fumée et savoureuse. Savio la refuse et Vicente n'en prend qu'un petit bout, par politesse, semble t'il. Il me raconte plus tard que c'est une viande interdite. Pour eux, le tamanoir est un être humain. On raconte, me dit il, qu'il y a bien longtemps un jeune homme s'enfuit à travers la forêt, emmenant avec lui sa belle mère avec lui. Il la courtise plusieurs jours durant jusqu'à ce qu'elle finisse par céder à ses avances. Lorsqu'ils finissent par faire l'amour, l'homme se transformat en Tamanoir et la femme en chauve souris. C'est ainsi qu'il reste chez ces animaux quelques traces d'humain, comme les bras et les mains du Tamanoir, par exemple. Lorsqu'on mange un tamanoir, c'est un peu comme si l'on mangeait l'un de nos cousins...

Mais alors pourquoi en ont-ils préparés? Ne sont-ils pas Yanomami eu aussi? Répondis-je à Vicente... Ce groupe de cousins viennent de s'enfuir pour créer leur propre Xapone. C'est une période très difficile où plusieurs familles migrent avec leurs anciens et leurs nouveaux-nés. Jusqu'à trouver un endroit propice. Comme tu sais, le travail nécéssaire à la fabrication d'une nouvelle Xapone est éprouvant. Il faut parfois faire tomber des arbres énormes au milieu de la Xapone, puis construire nos habitations, aller chercher les feuilles de "Japim Urutu" pour construire la toiture. Durant ce temps il faut nourrir tout le monde. Ouvrir une nouvelle Roça, aller cueillir des fruits, trouver de l'eau, chasser et pêcher et il n'y a pas de mauvaise nourriture.

Au retour nous croiserons un grand tamanoir, qui traverse la rivière devant nous, puis, avec une démarche souple et élégante monte sur la berge et s'enfonce dans la forêt. L'animal si beau soit-il, est à l'origine de nombreux accidents, car lorsqu'il s'approche des villages à la recherche de nourriture, son aspect doux et lent est trompeur et lorsqu'il se sent aggressé, il se dresse sur ses pattes arières et lacère son agresseur avec les longues griffes de ses pattes avant tranchantes comme des couteaux.

A trente quatre ans, Vicente a déjà huit enfants avec sa femme. S'occuper des enfants dans une Xapone demande heureusement moins de travail pour les adultes car ils jouent et apprennent ensemble, petits et grands. Ils passent leur temps à jouer et pêcher des petits poissons qu'ils attrappent avec leurs mains nues dans la rivière en riant et s'éclaboussant. A six ans ils savent grimper aux arbres et deviennent rapidement plus agiles que leurs parents qui les envoient chercher des fruits à tout en haut des palmiers d'Açai, de bacaba, ou de patawa, parfois à plus de quinze mètres de hauteur. Les filles apprennent très tôt à préparer le manioc avec leur mère ou leur grand-mère. Les enfants aprennent vite que la nourriture est le besoin primaire que l'on doit apprendre le plus vite possible à l'école de la vie Yanomami. Reconnaître les centaines de plantes et fruits commestibles ou dangereux. Chasser et pêcher. Puis préparer et manger son repas.

Chez les Yanomamis, il ne semble pas y avoir de ni d'horaire ni de partage communautaire pour la plupart de la nourriture. Celui qui l'a trouvé le mange, ou le partage avec sa famille proche. Si l'animal chassé est suffisement gros, on le laisse fumer en "moqueado", au dessus du feu, pour que la viande puisse être conservée plusieurs jours. S'il y en a suffisement, on le partage avec son entourage. C'est une logique simple, qui peut nous sembler parfois égoïste ou rude, mais qui a le mérite d'apprendre très vite aux enfants la survie. Celui qui trouve sa nourriture en a directement la savoureuse récompense et a le droit de la partager avec celui ou celle qu'il souhaite. C'est une autre version de la fable de la cigale et la fourmi, ou les hommes sont à la fois un peu cigale et un peu fourmi tous les jours. La nourriture ne se conserve pas et sa quête fait partie de la vie quotidienne mais ne les empêchent pas de se divertir, que l'on soit enfant ou parent. Au retour, Vicente me raconta des heures durant sa chasse préférée, celle des crabes qui se cachent dans des trous sur les bords des Igarapés. Sa femme excelle dans cette technique, ou le risque principal est de se faire vivement pincer le doigt.

Ici, la nourriture, élément si basique et indispensable à la vie, ne s'achète pas et ne se vend pas. Dans un monde sans argent, la nourriture c'est le premier savoir, celui qui doit s'apprendre dès le plus jeune âge. C'est ce savoir précieux et complexe de reconnaissances d'innombrables plantes, fruits, préparations, techniques de chasse et de pêche qui constitue l'école des Yanomamis. Celle qui les rends fiers et indépendants. Celle qui, certainement, nous manque aujourd'hui et nous rend dépendants d'un système aliénant que nous avons créés.

Ces réflections me font remonter des souvenirs d'enfance de promenades en forêts à Quimperlé avec ma grand-mère qui nous montrait les espèces de champignons, les girolles, les bollés, les chanterelles, en nous montrant les indices qui permettait de les différencier avec les autres champignons vénéneux.

Farine et fruits sont également préparés et cueillis régulièrement en fonction des besoins de la famille, c'est pour cette raison qu'il est difficile de trouver de la nourriture en arrivant à l'improviste dans une Xapone. Il y a la plupart du temps juste assez de nourriture pour chaque famille. Si l'on reste plusieurs jours, il est normal que les hôtes se chargent de leur nourriture, ou bien le tuxaua devra s'organiser pour que plusieurs familles se répartissent la charge supplémentaire.

Le problème de la nourriture nous a préocuppé au début du voyage car dans notre culture.... Il est habituel d'accueillir un hôte avec un bon repas ou tout au moins une boisson. On y portera encore plus d'attention si celui-ci arrive d'un long voyage. Lorsque, de surcroît, l'hôte vient dans le but d'aider ou d'apporter quelque chose à la communauté, il n'est pas rare que celle ci organise un accueuil spécial. Lors de nos nombreux voyages, mêmes éloignés, dans les profondeurs de la chine, de la mongolie ou des deserts du sahel, avec des cultures, langues et religions très différentes, ces traits culturels étaient identiques. Ici, hormis l'accueil marquant de Chiquinho, nous nous sommes retrouvés la plupart du temps fatigués et sans rien à nous mettre sous la dent que l'un des sacs de riz ou de viande séchée amenés avec nous dans le canoë.

Le savoir-faire de la quête de la nourriture fait partie intégrante des devoirs de chaque personne. Par principe, par fierté peut-être aussi, chaque Yanomami est indépendant, lui et sa famille dans sa nourriture. Il ne compte pas sur les autres. Vicente me dit qu'Il est même difficile d'offrir de la nourriture si elle n'est pas explicitement demandée. Celà reviendrait, en quelque sorte à considérer que l'autre n'est même pas capable de subvenir à ses propres besoins. Il faut explictement "demander" de la nourriture pour en recevoir, ce qui procurera de la fierté à celui qui sera capable d'en offrir.

L'abri est par contre beaucoup plus facilment partagé. S'il arrive en ami, l'hôte sera facilement accueilli. Après avoir fait le tour de la Xapone, et rendu visite au Tuxaua, celui ci lui indiquera une place pour attacher son hamac et il pourra se mettre à l'aise comme il le souhaite. Utiliser l'un des nombreux que font les familles dans la Xapone.

Les Yanomamis partagent facilement les biens matériels et il est normal de s'allonger dans le hamac laissé libre par son voisin; Ou même de venir se caser dans un hamc déjà occuppé.

Vicente me dit que l'arrivée de la "civilisation" amplifie ces différences, car les enfants vont de moins en moins pêcher ou chasser, se laissant happer par l'arrivée des divertissements modernes "télévisions" et quelques "smartphones" chargés de clips et de jeux abrutissants. Un vrai laisser aller s'installe dans certaines Xapones qui ont bénéficié d'aides.

L'école telle que nous la concevons est difficilement compatible avec la civilisation Yanomami où les enfants passent le plus clair de leur temps à apprendre à trovuer leur nourriture. S'ils apprennent à dépendre de la nourriture des "blancs" fournie à la cantine des petites écoles, comment peuvent-ils faire pour ne pas considérer que recevoir leur nouriture n'est pas un dû? Un droit élémentaire?

La discipline dépend souvent du chef de la Xapone qui donne un élan et une fierté à la communauté. Grâce aussi aux pajès et aux anciens qui savent différencier ce qui est important et ce qui ne l'est pas pour perpétuer la tribu.

La différence est frappante entre Tomoropiwei, où nous mangeons de la viande tous les jours et tout le monde participe et travaille en harmonie, et une autre communauté, déjà trop grande où les jeunes ont l'habitude de chaparder des sacs de riz aux équipes d'infirmiers qui sont maintenant obligés de les garder dans un coffre cadenanssés.